La face humaine du narcissique

Le terme de personnalité narcissique est très médiatisé dernièrement, quand on entend « narcissique », le « pervers » vient se greffer comme une continuité logique, hors on ne devrait pas faire de tels raccourcis.

Premièrement, il ne faut pas oublier qu’il existe un « narcissisme sain » qui permet à l’enfant dans son développement « de créer une image authentique de lui-même plutôt qu’un déguisement; il l’aide à énoncer clairement son désir, ses besoins et ses objectifs, tout en restant à l’écoute des autres. Un narcissisme sain permet un attachement solide et équilibré à l’autre, car il crée des sentiments profonds de responsabilité et de réciprocité » (Wendy T. Behary, « Face aux narcissiques. Mieux les comprendre pour mieux les désarmer », pag.42)

Les narcissiques inadaptés, ce sont ceux qui au cours de leur enfance, on vu leurs besoins profonds non satisfaits. Ils développent des stratégies et des masques pour contrecarrer ces manques et dissimuler leur soi profond. Ces personnes qui en apparence sont très charismatiques, sûrs d’elles, se sentent à l’intérieur fausses, inadéquates, seules et mal-aimées. Les schémas de base qui sont associés à cette personnalité sont en grand partie la carence affective et le schémas d’imperfection. Comme schémas secondaires ce sont: le schémas d’exigence élevée, les droits personnels exagérés ou encore la punition.

La personnalité narcissique, statistiquement parlant, se retrouve plus fréquemment parmi les hommes. Les problèmes pour lesquels ils viennent me consulter sont le plus souvent des symptômes de leur mal-être intérieur: dysfonction érectile, anorgasmie/anéjaculation, éjaculation rapide, problèmes-conflits de couple, addictions, comportements à risque et autre.

J’aime beaucoup travailler avec ce type de patients, car ils me mettent constamment au défi. Ce sont des personnes très intelligentes et charismatiques qui vont employer beaucoup d’humour, de légèreté, et des discours intellectuels souvent captivants. Ils viennent me voir pour mon expertise, mais en même temps ils aimeraient avoir le dessus, le contrôle sur la manière dont je mène « le bateau thérapeutique ». Ils peuvent aussi se montrer provocants ou même rabaissants, et cela prend du temps de construire une relation de confiance, de ne pas réagir aux attaques ou plutôt les stopper d’une manière empathique et bienveillante. C’est un « exercice » compliqué mais le jeu en vaut la chandelle.

Voici quelques extraits de mon film préféré « Will Hunting », où Matt Damon joue un jeune génie des mathématiques, avec un parcours extrêmement carencé et maltraité. Il a construit, grâce à son intelligence une grande armure entre lui et le monde, pour ne plus être blessé à nouveau.

Chaque fois que je vois en face de moi la partie surcompensatrice du narcissique, cette partie qui est en colère, blessante, rejetante ou rabaissante, j’essaye de voir derrière ce masque, la partie vulnérable, « l’enfant esseulé et paumé ». Ce n’est pas toujours facile, car nous les spécialistes nous sommes aussi des humains, avec nos propres sensibilités, émotions, schémas. Ce côté humain est très bien interprété par le psychiatre de Will (Matt Damon) – le génial Robin Williams.

Après ce magnifique passage du film, il est assez compliqué de poursuivre, mais j’aimerais présenter ici un exemple d’une situation conflictuelle entre un narcissique et son épouse, passage présenté dans le livre cité plus haut (pages 153-154) et la manière dont cette dernière y répond: en étant empathique mais en même temps en mettant certaines limites et en parlant de ses propres besoins. Cette confrontation empathique n’est pas une chose facile, mais pour les personnes qui veulent donner une chance à leur relation avec un narcissique, que ça soit une relation amoureuse, ou de travail, familiale, ou amicale, ce passage est obligatoire.

« Stéphane, votre mari, vient vous chercher à la gare avec vingt minutes de retard. Vous montez dans la voiture. Sans même vous dire bonjour ou tenter d’excuser son retard, le voilà qui se met à vitupérer: plus question qu’à l’avenir il vienne vous chercher! « Si tu savais ce que ça m’a coûté! J’ai dû laisser tomber tout le monde au bureau – en plus, j’ai oublié mon portable là-bas! -, j’ai été coincé dans les bouchons, et voilà que tu me fais la tête. Vraiment, fini pour moi! »

Première solution: vous ouvrez la portière avant qu’il ait pu démarrer, vous lui balancez votre sac à main en travers du visage, descendez de la voiture et prenez le premier train pour ne plus jamais revenir. Joli scénario, non? Mais il vaut sans doute mieux trouver une stratégie à la fois moins romanesque et plus efficace.

Vous gardez le silence un instant, ne serait-ce que pour laisser les échos de ses paroles mesquines se répercuter jusqu’à ses oreilles et avoir le temps de vous reprendre. Vous vous répétez qu’au fond ce n’est pas à vous qu’il s’en prend: de nouveau, Stéphane est confronté à ses propres problèmes. Vous le regardez, juste assez longtemps pour retrouver, sous son expression hargneuse et vindicative, la trace du petit garçon perdu. Vous prenez une inspiration pour vous détendre, allez puiser dans votre empathie et dites: « Je comprends qu’il est important pour toi de ne pas te sentir gêné dans tes rapports avec tes associés, et à quel point tu redoutes la sensation de m’avoir laissé tomber. C’est vrai, ton retard m’a ennuyée et un peu inquiétée. Je suis sûre que tu était très agacé d’avoir oublié ton portable et de ne pas pouvoir m’appeler. Si je comprends bien, le fait que j’aie parfois du mal à exprimer ma déception fait que tu t’attends à ce que je sois en colère contre toi à cause de ton retard. Tes sentiments sont importants pour moi, y compris lorsque tu es énervé par des problèmes de circulation. Mais, même si j’en ai envie, il m’est difficile de ressentir de la tendresse envers toi quand tu te montres hostile et critique à mon égard. J’ai besoin que nous communiquions en prenant mieux en compte nos sentiments respectifs, les tiens comme les miens. Et à ce propos, quand tu te seras calmé, j’apprécierais beaucoup des excuses. » »

En conclusion, j’aimerais dire qu’il est impossible de travailler la relation avec son partenaire narcissique si on ne connaît pas ses propres schémas.

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