« La sexualité de la femme échangiste : soumission, perversion ou santé sexuelle ? »

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J’ai eu un énorme plaisir à présenter lors des Assises françaises en Sexologie cette  thématique qui me tient beaucoup à coeur. J’aimerais partager ce travail avec vous.

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La littérature scientifique fait généralement ressortir une représentation négative de la femme échangiste, négative au sens de femme objet, femme soumise à la volonté de son compagnon, femme monnaie d’échange.

Nous nous sommes intéressée à l’évolution du couple à travers le temps, le passage du couple romantique, qui est le couple emblématique de nos jours, où l’amour est la condition du mariage, au couple que Willy Pasini appelle « couple sensoriel », où les deux partenaires et surtout les femmes, sont à la recherche des sensations nouvelles et fortes : « la femme contemporaine s’efforce d’impliquer l’homme dans une vie plus diversifiée, moins enfermée dans les règles de la société civilisée, alors qu’auparavant, c’était l’homme qui la poussait vers une sexualité plus libérée ».

Nous nous sommes posé la question suivante : le couple échangiste fait-il partie de cette nouvelle catégorie de couple – couple sensoriel – où la femme a un rôle important et actif à jouer ?

Pour analyser ce phénomène de l’échangisme, nous nous sommes appuyés sur la théorie des scripts (de John Gagnon et William Simon), selon laquelle toutes nos expériences sexuelles sont construites comme des scripts, des « scénarios » qui découlent d’apprentissages sociaux, qui nous permettent d’acquérir un savoir-faire, mais aussi une capacité à reconnaître et percevoir des situations et des états du corps comme potentiellement sexuels. Autrement dit, notre société détermine ce que nous décodons comme étant ou non sexuel.

Echangisme « nouvelle » forme de sexualité?

Une façon de combiner à la fois la sécurité engendrant la durabilité recherchée avec l’aventure des nouvelles sensations. Ainsi « l’adultère autorisé » ne sera plus une trahison et l’idéal d’amour dans le couple pas « froissé ».

On peut qualifier d’échangistes les personnes ayant déjà pratiqué un rapport sexuel avec leur partenaire et au moins avec un autre couple, ou ayant déjà eu une relation avec leur partenaire et une tierce personne (homme ou femme). (Delga, Jacques)

L’échangisme une perversion?

La sexoanalyse fait une différence claire entre paraphilie et perversion sexuelle. La première se réfère plutôt aux comportements et/ou fantasmes sexuels atypiques exclusifs, tandis que la perversion a comme caractéristique principale la satisfaction et la jouissance sexuelle par l’hostilité, la haine et/où l’humiliation de l’autre.

Si on revient à notre questionnement de base de savoir si l’échangisme est une perversion, la réponse est non, car il n’est pas pratiqué généralement, dans un but d’hostilité et d’humiliation de l’autre. Si on passe en revue toute la panoplie des activités sexuelles, à l’exception du sadisme sexuel « aucune conduite ne peut être considérée en soi comme une perversion sexuelle, c’est-à-dire une haine érotisée ». (Crépault, Claude)

L’échangisme n’est pas, non plus inscrit dans la classification des paraphilies selon le DSM-V, comme le sont par exemple l’exhibitionnisme, le fétichisme, le frotteurisme, la pédophilie, le masochisme, le sadisme sexuel, le travestisme etc.

Nous avons mené des entretiens qualitatifs et semi-directifs avec 17 personnes échangistes (11 femmes et 6 hommes) de 30 à 56 ans, dans le but de récolter les vécus, les représentations et les ressentis des hommes et des femmes pratiquant l’échangisme, en se focalisant sur le rôle joué par les femmes impliquées. Les personnes ont été contactées en répondant à des annonces dans la rubrique « couple cherche couple» sur un site internet de la région suisse romande. Parmi les 17 personnes, 14 étaient en couple et 3 célibataires.

Les résultats ont mis en évidence plusieurs thématiques :

La notion du plaisir:

  • Pour 8 femmes l’échangisme est une pratique positive. La notion de plaisir était souvent évoqué dans leurs discours: « c’est jouissif », « un plus adrénalitique », « que du plaisir », « heureuse », « épanouie », « aimée », « jouir et faire jouir », « j’étais comme un enfant à Noël, j’étais super contente! », « c’est une réjouissance comme si j’étais un enfant avant le camp d’été » etc.

Tatyana: « C’est des moments que j’adore… je ne sais pas comment le dire, je ressens plein de choses mais c’est difficile d’exprimer… J’aime la rencontre avec l’autre, j’aime faire l’amour, je n’ai pas de tabous, c’est érotique, sexy, bandant. En plus, je trouve que mon mari me faisait encore mieux l’amour après qu’on faisait l’amour avec d’autres couples. »

Sylvie: « Cette pratique m’apporte une grande excitation, j’aime sentir, toucher d’autres corps, de femmes et d’hommes. J’aime le flirt entre les deux couples, j’aime partager cette excitation avec mon mari, j’aime le voir avec d’autres femmes, j’aime cette intimité que j’ai avec mon mari tout en étant avec d’autres couples. »

La notion de la jalousie:

  • Le cadre défini de l’échangisme rend possible le script qui permet de ne pas interpréter l’acte sexuel de son partenaire avec une autre personne comme étant une menace pour le couple ou une trahison.

Michel: « Je pense que j’ai été pendant une longue période quelqu’un d’assez jaloux, conséquence d’expériences difficiles. Les choses ont évolué positivement au cours des dernières années, et l’échangisme est plutôt quelque chose qui m’a ‘’guéri’’ d’une part de cette jalousie. Voir sa femme avoir des relations avec quelqu’un d’autre devant soi, le prendre pour ce que c’est, à savoir uniquement un échange charnel, sans que cela remette en question les sentiments ou le couple, c’est une manière plus adulte de voir le couple il me semble ».

Bella: « Oui je suis jalouse, pas dans ces soirées où tout est sous contrôle et où c’est un partage dans le couple, mais dans la vie de tous les jours je n’aime pas l’idée que mon compagnon me trompe. Si j’ai confiance en sa fidélité je ne suis pas jalouse. »

Laura: « Le fait de baiser avec d’autres couples c’est hype safe, c’est des couples tout aussi amoureux que nous, il ne peut pas y avoir de la jalousie ».

  • Les situations dans lesquelles les interviewés ont déclaré être jaloux lors des soirées échangistes semblent être des situations qui ne respectent pas les scripts nécessaires pour que cela reste un « adultère neutralisé » et notamment des échanges purement charnels qui restent dans un espace et pour un temps prédéfini.

Flavio : « Il y a certaines situations qui peuvent me rendre jaloux. Par exemple, si ma copine avait pris le numéro de téléphone du Monsieur ou si elle avait eu une relation seule avec Monsieur dans une autre pièce… »

Véronique : « Oui je suis jalouse…mais je commence à comprendre qu’il ne faut pas l’être. Par contre, si un jour je décèle de la tendresse et des embrassades à n’en plus finir avec une autre, ça va barder !!! ».

Maya: « Quand il reste trop longtemps avec une fille ».

Sylvie : « Je peux être jalouse quand je crois sentir une intimité affective qui se crée entre mon compagnon et l’autre femme». 

La notion de « femme objet » :

  • Parmi les 11 femmes interviewées, une avait déclaré s’être sentie comme une femme objet ce qui d’ailleurs à mis un terme à son expérience échangiste.
  • Deux autres ont exprimé des craintes ou sentiments partagées par rapport à cette notion de femme objet:

Véronique : « J’avais peur au début de n’être qu’une femme-objet mais heureusement que mon copain me met en confiance ! Je vis cela très bien, mais avec une certaine crainte toutefois envers les autres hommes qui me semblent plus pervers et moins joueurs ».

Bella: « Mes sentiments sont mitigés. Cela m’a apporté beaucoup de choses positives à certaines périodes (complicité dans le couple, valorisation en tant que femme, rencontres agréables avec d’autres personnes au-delà de la relation sexuelle), et d’autres plus négatives à d’autres moments (sentiment de pression ressentie de la part de mon partenaire à certaines époques pour prendre part à de telles soirées plus souvent que ce que je souhaitais, désir sexuel absent lors de certaines soirées, sentiment d’être une femme-objet, sentiment d’être obligée d’être parfaite physiquement pour avoir le droit de participer à certaines soirées, sentiment de ne pas être à la hauteur, je me suis aussi parfois laissée faire pour faire plaisir à mon compagnon et me conformer aux attentes des autres participants alors que le cœur n’y était pas…) ».

La notion de femme «dominée » versus femme « action »:

  • Les réponses de 10 femmes étaient d’avis que la femme est un moteur d’action

Véronique : « Pour ce que j’ai vu jusqu’à présent, les femmes sont plutôt dominantes. Mais pour ma part, je ne prends pas encore le taureau par les cornes et me laisse guider par mon copain. »

Léa : « Je ne crois surtout pas qu’une femme soit dominée par son partenaire, d’ailleurs cela ne devrait pas l’être. Mais je ne peux que parler pour moi-même et de mon point de vue. Donc, je pense que les femmes de nos jours (la plupart), spécialement dans l’échangisme, son plutôt un moteur d’action par elles-mêmes qui ont un désir et une motivation personnelle et intrinsèque à y participer. D’ailleurs je crois que les femmes échangistes sont encore plus libérées que les autres femmes. »

Tatyana « Non, pas dominées, pour une fois c’est nous qui tenons le couteau par le manche. C’est les femmes qui décident… c’est les femmes qui mènent le jeu… on a pris notre sexualité en mains ».

  • La seule réponse partagé était de la femme qui ne pratiquait plus l’échangisme:

Audrey: « Je ne sais pas. J’en connais deux qui y sont allées pour faire plaisir à leurs partenaires ; d’autres qui allaient pour le propre plaisir ».

Recherche de sexe sans sentiments:

  • Une femme aussi peut rechercher du sexe sans sentiments ; il ne s’agit pas ici d’un trait exclusivement masculin, ce que de nombreux auteurs confirment d’ailleurs. La femme n’est pas plus « naturellement fidèle » (Salomon, Paule).

Cristina: « Il faut dire aussi que je n’éprouve aucun besoin de lier sexe et sentiment. Bien sûr, le sexe avec mon partenaire que j’aime est exceptionnel et reste privilégié mais je parviens néanmoins à dissocier clairement les deux ».

Sylvie: « J’aime faire l’amour avec un autre couple qui s’aime et qui vit l’échangisme de la même façon que nous, c’est à dire une expérience charnelle pleine de sensualité et de nouveaux plaisirs sur le moment, pas comme un échappatoire ou une obligation ».

DISCUSSION

Les réponses reçues par rapport à cette pratique ont été plutôt positives, en étant conscient que les deux populations existent : les femmes – sujets actifs et les femmes – sujets passifs. Les entretiens n’ont permis de mettre en évidence à aucun moment un sentiment de soumission de la part des femmes interrogées. L’échantillon n’est peut-être pas représentatif de l’ensemble des femmes échangistes: il est en effet possible que les femmes qui prennent plaisir à cette pratique ont plus volontiers répondu.

En conclusion j’aimerais soulever la possibilité d’une évolution dans les récits sur cette pratique :  on voit que notre société est passée de la valorisation de la femme soumise à celle de la femme désirante, mais il y a encore une différence entre la femme désirante et la femme qui dissocie sexe et sentiments. La première est valorisée à condition que son désir se manifeste par rapport à son partenaire légitime, tandis que la deuxième est à craindre car elle se rapproche d’une « sexualité masculine », ou plutôt parce qu’elle n’entre pas (encore) dans nos scripts culturels acceptés: « Déjà que la sexualité féminine est annoncée comme un somptueux mystère pour les hommes ( « le continent noir » ! disait Sigmund Freud), si, en plus, la femme recherchait la jouissance hors du sentiment ! » (Héril, Alain).

 

 

 

 

 

Une réponse sur « « La sexualité de la femme échangiste : soumission, perversion ou santé sexuelle ? » »

  1. Bonjour,
    Je trouve votre article très intéressant, et notamment la notion « d’adultère autorisé ».
    On retrouve ici l’idée selon laquelle la première fidélité est sentimentale (vs l’infidélité sexuelle), c’est elle qui est la plus forte si l’on décide d’être en couple.

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